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Fermeture de l'Amicale

Pour cet été l'Amicale est fermée du vendredi 7 juillet au lundi 28 aout 2023.

Les mails, le téléphone et le courrier sont relevés normalement.

Passez un bon été, restez au frais.

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Danser sur les vagues

Ce 4e opus de Marie-José ABLANCOURT, épouse d'un membre de l'amicale et une des rédactrices dans notre bulletin, peut être acheté soit sur : www.edilivre.com

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La France Mutualiste

Prochaine permanence de France Mutualiste à l'Amicale mardi 19 septembre 2023.
Sur rendez-vous

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Contact Bordeaux Métropole

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Monsieur Jean RIGUET

0636478566

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« C'est Noël chaque fois qu'on essuie une larme dans les yeux d'un enfant.» (Odette Vercruysse)

Notre N° 111, de janvier 2021, était enrichi d'un article émouvant de notre ami Willy Chiale intitulé "Gratitude". Il disait en substance avoir vécu en Algérie, une histoire qui, entre-autre évènement, avait pris au fil des jours et des années, une importante place dans sa mémoire. Aujourd’hui, il nous convie à partager un autre magnifique épisode qui n'a jamais quitté l'écran de ses souvenirs. L'histoire d'un officier Français, fusilier commando, engagé dans le tourbillon de la guerre en Algérie.
Histoire émouvante, forte, à l'honneur de nos Armes, pour qui "pacification" n'était pas un vain mot : mission humaine. Pacifier, c'était aussi, intervenir, protéger, secourir, instruire au sens le plus noble du terme pour aider les populations à s'élever vers plus de bien-être... Et au-delà de cette très belle histoire, la francophilie des Berbères, aujourd'hui reconnue, et l'ambiance dans laquelle ils sympathisaient avec l'Armée, valaient aussi d'être décrite. Merci mille fois Willy.

La guerre d’Algérie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, mais nous avons eu quelques moments d’émotion ou joyeux : ceux-là aussi méritent d’être racontés.
Les petites histoires qui font l’Histoire valent la peine d’être narrées : on ne les trouve pas dans les documentations traditionnelles qui se bornent souvent à ne parler que
de "combats, morts et blessés, tirs, explosions".
J’ai 21 ans, tout juste majeur : dans mon Unité, je suis le troisième. D’un petit village kabyle, sur mon territoire de compétence dans le Constantinois, je garde, en mémoire, deux souvenirs de la pacification. Il fallait côtoyer au maximum les populations locales et je m’y suis donné avec toutes mes possibilités et, je suis sérieux, avec toute mon âme : je croyais sincèrement à ce que je faisais. C’était la guerre, mais je la faisais contre des brigands, des assassins, des anti-français, des islamistes intégristes mais pas contre des Arabes, des Kabyles, des musulmans.
Je passais régulièrement à Ben Tabal Haut en tenue "guerre", cela va de soi. Le ouakaf (chef) avec quelques habitants, des hommes évidemment, m’accueillaient en respectant les traditions : c’étaient des Kabyles, pour qui j’ai toujours eu beaucoup de respect et de sympathie.
J’étais automatiquement invité, avec la cérémonie traditionnelle du café : dans le Constantinois, on reçoit avec du café, alors que dans le Sud au Sahara c’est le thé à la menthe. Avec les hommes du village, nous sommes installés sur des tapis, assis en cercle sur des coussins colorés. Je suis en face du "Chef". Je ne parle pas arabe, sorti de « atini carta » (donne-moi ta carte d’identité), lui parle très peu Français, mais les gestes en plus et l’aide de Mon Harki, quand il est là, nous nous comprenons très bien.
J’avais l’habitude d’offrir des bonbons aux enfants, des paquets de cigarettes aux hommes : c’était un petit geste simple d’amitié. Les bonbons et les cigarettes provenaient de mes rations de combat. Pour ces dernières j’avais le renfort des seize paquets que je touchais par mois et de ceux que certains camarades me donnaient, ne fumant pas.
Lors de ma première visite à Ben Tabal Haut, je remarquais une petite fille d’une dizaine d’années qui marchait en se déhanchant : elle faisait la police lors de la distribution des bonbons aux enfants du douar. Elle est venue très naturellement et simplement vers moi et dans un français impeccable m’a demandé d’excuser le comportement un peu envahissant des enfants. Je fus fort étonné de cette élocution car rares étaient ceux qui, dans ces zones rurales, parlaient correctement le français. Le ouakaf m’expliqua qu’elle s’appelait « Marguerite » et qu’elle était handicapée parce qu’elle avait été accidentée par un camion militaire quelques années auparavant : elle n'était pas rancunière, elle avait été bien soignée, longtemps, et en avait profité pour apprendre un français sans aucun défaut.
Pourquoi Marguerite, prénom curieux pour une berbère ? Je ne savais pas. Depuis je me suis renseigné et je sais maintenant que ce prénom apparaît dans l'est de l'Empire romain dès le premier siècle : il signifie "perle". Il y avait d’ailleurs, encore, quelques ruines romaines à proximité de ce village. Et c’était vraiment une "perle" ! Sa gentillesse me permettait de suivre les conversations kabyles en toute quiétude car elle avait su gagner l'estime de tous, à commencer par le ouakaf et les hommes du douar. Elle était l'invitée permanente pour déguster le café à la Turc avec les hommes réunis en cercle.
Oui, ce fut une rencontre étonnante avec cette gamine. Dans cet univers berbéro-musulman, avait-elle un rêve de gosse, celui d’être autre chose que ce que les enfants de son âge avaient le droit d’être, surtout les filles ? Peut-être, car elle avait une maturité qui ne passait pas inaperçue.
Dès nos premières rencontres, étant installés avec plusieurs villageois pour le café traditionnel, le ouakaf m’avait demandé : « Veux-tu que Marguerite vienne à côté de toi pour prendre le café ? » Impensable dans un monde musulman. J’avoue avoir caché difficilement mon étonnement : « Tu autoriserais Marguerite à venir avec nous ? » Je ne me souviens pas de la réponse, mais Marguerite arriva avec un coussin et s’assit à côté de moi, très à l’aise. Dès lors, tous mes entretiens avec les gens du douar devinrent faciles, il n’y avait plus la barrière de la langue, même en l’absence de Mon Harki, pris par d’autres obligations. Merci Marguerite : je dois beaucoup à ce petit bout de femme kabyle.
A quelque temps de là, les gens de ce douar vont m’inviter à un mariage. Je m’y rends en tenue de sortie bleue, en jeep radio-armée avec 2 fuscos : de l’inconscience, non, de la confiance envers des gens chez qui l’hospitalité est sacrée. Voilà, sans doute, le sens qu’il faut donner à l’amitié sincère, celle qui se forge par de multiples contacts et discussions, sans mensonges, sans orgueil, d’égal à égal.
Dès mon arrivée, vers 11 h 30, Marguerite s’était précipitée pour me dire bonjour et donc me saluer. Pas de bisou sur la joue (comme tous nos jeunes maintenant) : ici, c’est la main sur le cœur qui concrétise tout et qui est vraiment un signe de paix et d’amitié. Je lui donne un sac de bonbons de 5 kgs qu’elle distribue immédiatement aux enfants du douar qui sont tous accourus. Mais attention, ici on ne mendie pas, on ne demande pas, les enfants kabyles sont éduqués à de grandes valeurs, telle la fierté, la courtoisie : ils attendent sagement que Marguerite fasse la répartition de telle sorte qu’aucun ne soit lésé.
Le ouakaf m’accueille (nous accueille) avec le groupe des hommes, cadeau et distribution de cigarettes à tous. Présentation au marié qui est assis à l’intérieur d’une minitour construite spécialement pour l’occasion. Nous sommes installés dehors autour de tables basses, dominés par le marié, isolé dans son coin. Marguerite est près de moi et traduit au fur et à mesure les propos des uns et des autres. Le repas est un repas de fête avec un couscous traditionnel. Nous mangeons avec des cuillères : luxe suprême. Boissons : eau, jus de fruit, café.
Vers 17 h, le ouakaf me demande si je veux voir la mariée. Voilà une question intéressante dans un pays où l’Islam essaye d’imposer une loi pure et dure et où les Islamistes vont encore beaucoup plus loin que le prévoit le Coran qui, après tout, est un document qui prêche l’amour. Ma réponse est positive, évidemment, mais mon étonnement est grand : je ne le montre pas.
Marguerite m’emmène au local dans lequel les femmes sont réunies et font la fête : une grande salle, en pisée, avec quelques petites pièces délimitées par des couvertures. Je suis accueilli par des youyous : ah ! Ces youyous… Ils disent la joie de recevoir. Dans d’autres circonstances, ils peuvent signifier la tristesse, la colère, la haine même. C’est inoubliable ! Je vais saluer la mariée, la félicite à "la Française" sous une avalanche de youyous et Marguerite fait les traductions. Soudain, elle prend un air sérieux : la mariée a dit quelque chose d’important, les youyous se sont tus. Marguerite me tire par une manche et me dit vouloir me montrer ce "quelque chose d’important".
Elle me conduit dans l’une des petites pièces et là je découvre d’un coup la misère et la tristesse : c’est un choc ! Par terre, sur une natte, un enfant, à côté une femme en pleurs : quel contraste avec la fête qui avait lieu tout autour. L’enfant est une petite fille à peine âgée de quelques mois : décharnée, elle est squelettique, complètement déshydratée, elle sanglote, elle aussi.
Marguerite me dit : « Est-ce que tu peux faire quelque chose ? » Je ne suis pas le bon Dieu ! Mais, j’ai 21 ans, droit de vie et de mort sur mon territoire : et là, c’est la
Vie qu’il faut sauver. Il le faut.
Je me précipite vers le poste radio de ma jeep où m’attendent mes fuscos et appelle mon PC en demandant d’urgence une ambulance et un médecin. Peu de temps après, arrivent les moyens demandés escortés par un half-track. Conclusion : il faut hospitaliser d’urgence l’enfant et si possible avec sa mère, car il s’agit d’un bébé. J’obtiens l’accord unanime : eh oui ! Les hommes du village ont tout de suite accepté que la mère accompagne sa fille : impensable en temps normal, dans cette terre d’Islam.
Ouf ! Ils sont partis vers l’hôpital militaire de Constantine : les youyous les accompagnent. Sauvetage en cours.
Le temps passe… Un mois, un mois et demi, plus…
Je continue mes activités : opérations, embuscades, patrouilles, convoyages, ouvertures de pistes, de voies ferrées et de routines avec de l’instruction, de nombreuses séances de tir et des cérémonies dont celle du 3 octobre avec l’accueil de notre futur Président de la République.
Et puis… nous sommes la veille de Noël. Je suis au DTO, en alerte : une ambulance militaire arrive de Constantine. L’infirmier me fait appeler, m’explique de quoi il s’agit et me demande de l’escorter jusqu’au village Ben Tabal Haut. Je pars aussitôt, en avant, en jeep avec 3 fusiliers.
Le "téléphone arabe" a bien fonctionné, comme d’habitude. Tous les gens du village sont là sur la place. Nous sommes accueillis par le ouakaf. Marguerite a l’air heureuse, elle se précipite vers moi, toujours en se déhanchant. Des youyous se font entendre, c’est strident, ils éclatent, ce sont des youyous de joie qui accueillent mon arrivée, nos arrivées : c’est le retour de l’enfant souriant, guéri, en bonne santé et de sa mère dont la joie éclaire son visage. Ces youyous sont la gratitude de tout un village !
J’ai contribué à sauver une vie, c’était cela aussi la guerre d'Algérie en 1958 ! Cela aurait pu être un conte de Noël, mais c’est un conte réel, un souvenir qui ressurgit souvent à ma mémoire avec toujours autant de vive émotion.

CW