" - Tiens bon Charly !..."
17 janvier 1991. Guerre du Golfe. Premier jour du conflit "Tempête du désert". La France y participe. C'est "l'Opération Daguet". 12 000 soldats, 12 Mirage 2000C et 24 Jaguar participent aux raids de la coalition. 12 Jaguar décollent et attaquent la Base Irakienne d'Al Jaber remplie de missiles Skud. 4 sont touchés, dont celui de "Charly", nom de code du capitaine Alain Mahagne, aujourd'hui colonel, auteur de "Jaguar sur Al Jaber" dont voici un extrait avec son aimable autorisation.
Navigant ou pas, nous embarquons avec lui dans cette épreuve où la fragilité révélée de l'homme et paradoxalement ses incroyables réflexes de résistance, sont rapportés par l'auteur en toute humanité, modestement et sans fard. En mots et en actions, chacun dans son rôle ne va qu'à l'essentiel où transparaît, sans être abordée, mais comme éclairée par les projecteurs du récit, la solidarité des frères d'arme.
Trente trois ans sont passés. Après que nos Forces aient été engagées dans ce conflit qui a fait couler, et à juste titre, beaucoup d'encre, notre modeste feuille s'honore de rendre hommage à nos militaires qui, ici aussi, ont respecté leur engagement au service de la France.
LR
- "Touché, je suis touché aussi !".
C'était la voix de mon équipier Mamel.
Je surveillais toujours autour de moi le champ de feu.
Je regardais à droite, quand soudain je vis et entendis ma verrière éclater. Le choc terrible me projeta la tête en arrière. Je ne voyais plus rien, c'était horrible !
Comme par réflexe, je tirai sur le manche. Trois ou quatre secondes après, je recouvrai la vue. Devant mes yeux, le heaume transparent pendait en morceaux. J'en arrachai le plus possible pour être dégagé.
J'avais tellement mal qu'il me semblait que ma tête allait exploser. J'étais sonné et récupérais lentement mes esprits.
Première chose à vérifier : est-ce que les moteurs poussaient ? Aucun problème, tout était bon. Il y avait du bruit dans la cabine mais ce n'était pas grave. Je replongeai immédiatement pour me coller au sol, j'étais à peu près à 20 pieds.
- "Comment ça va Mamel ?", s'inquiéta Paco.
- "L'avion est instable, j'ai le réacteur droit en feu, je coupe !"
- "C'est bon, fonce vers la sortie".
Je ne dis rien à la radio, mon mal était supportable et Mamel avait beaucoup plus besoin d'aide que moi.
J'avais été touché depuis bientôt une minute, et apparemment je ne survolais plus les forces irakiennes. Un juron s'échappa de ma gorge. Je sentis alors un liquide chaud et poisseux me couler abondamment dans le cou. Je regardai lentement à droite puis à gauche. Ma verrière était perforée de part et d'autre et au milieu il y avait mon casque.
Dès lors, je réalisai que j'étais blessé.
Aucune peur ne m'envahit, je restai lucide et maître de mes moyens. J'annonçai calmement mes problèmes à la radio :
-"Charly. Je suis touché, j'ai un trou dans la tête et je pisse le sang."
-"Tu confirmes Charly!" interpella Schnapy
-"Je confirme, j'ai un trou dans la tête, je pisse le sang et je vais monter."
-"Non, non !..." plusieurs voix venaient de répondre en même temps.
-"Charly, sors d'abord!" s'écria le chef.
Je continuai au cap 260°, je volais toujours aussi bas.
-"Le but 20 Charly, va vers la sortie!"
J'affichai le but 20 à mon calculateur et me dirigeai vers la frontière saoudienne à la vitesse de 500 nœuds. J'aperçus au loin un Jaguar dans la brume. J'essayai de le rattraper mais en vain. Au but 20, j'effectuai souplement mon virage pour ne pas avoir de vertiges. Les ailes à plat, je cherchai le Jaguar qui me précédait mais ne vis rien. Je continuai un peu au cap sud comme prévu.
Maintenant, il fallait monter vite. Je cabrai franchement mon avion, comme nous l'avions répété. A 400 nœuds, je larguai des cartouches infrarouges puis je branchai la postcombustion.
Je grimpai jusqu'au niveau 130, mais la couche étant dense à cet endroit, je m'arrêtai finalement au 150. J'essayai d'afficher la base d'Al Ahsa au calculateur, mais ce dernier était bloqué sur le but 15, point du ravitaillement en vol. J'étais donc seul surnageant sur cette mer de nuages informes et mon émotion était profonde.
-"Charly, t'en es où?" demanda Schnapy.
-"Je suis stable au niveau 150, je n'ai plus de calculateur, il est bloqué sur le but 15, je voudrais qu'on me rassemble."
Immédiatement le fidèle Paco répondit :
-"OK Charly, on va te rassembler. Annonce-moi une distance par rapport au but 15 et monte au 200 à cause de l'hippodrome des ravitailleurs."
J'exécutai exactement les recommandations de Paco et je branchai mon oxygène en surpression pour compenser le manque de pressurisation dû aux trous dans la verrière.
-"Je suis au 200 et à 80 nautiques du but."
Bonaf venait de rassembler Mamel, son avion était en piteux état.
-"Ouais! J'ai coupé le droit et percuté l'extincteur, mais rien ne s'éteint."
Ils semblaient tous les deux très calmes, ce qui était une bonne chose.
Le réacteur touché par un missile sur le Jaguar A91 piloté par "Mamel".
-"Pour toi, le moteur droit brûle aussi Bonaf." reprit Mamel
-"OK, je coupe mon réacteur!"
Que le temps me paraissait long ! Je fis un rapide calcul de consommation de carburant. C'était suffisant pour atteindre Al Ahsa. Bruno participait activement à notre secours.
-"Charly, j'ai contacté I'AWACS, tu es "clair" sur Al Ahsa direct."
-"Charly, passe un coup "d'emergency" poursuivit le chef.
-"OK, c'est fait !"
Je me traînais à 330 nœuds car je devais économiser du pétrole et laisser de la marge à ceux qui allaient me rejoindre.
Ce qui me tracassait le plus était la descente. J'espérais ne pas avoir de vertiges, ce serait une catastrophe.
Tant pis pour l'avion, je devrais m'éjecter.
-"Je suis touché aussi!" s'exclama une autre voix que j'avais du mal à reconnaître.
-"J'ai un dur à la profondeur. Je vais me poser en longue finale". C'était Jésus.
-"Très bien Jésus, reste calme." dit Schnapy.
Nous étions quatre à être touchés: une véritable hécatombe!
De plus, il y avait encore beaucoup d'autres voix que je n'avais pas entendues :
-"Largue des leurres infrarouges Charly, les autres te verront mieux."
Je larguai une première fois. Rien. Puis une deuxième.
-"Il est à 11 heures, Paco."
J'identifiai Benet, j'étais heureux qu'il m'ait repéré.
-"Charly, tiens le coup, on arrive."
-"Ca va."
Je répondais avec de plus en plus de lassitude et chaque appel me faisait sursauter. J'avais l'impression de sombrer dans une douce quiétude. Désormais, plus rien ne m'inquiétait. Etais-je en train de m'endormir ?...
Chacun, à tour de rôle me faisait parler. J'étais de plus en plus las et ce fut à peine si je vis arriver Paco à côté de moi.
-"Tu me vois Charly à ta droite ?"
-"Ouais! Je me mets dans ton aile. Tu me ramènes au terrain."
-"C'est d'accord" répondit-il.
Je poussai un soupir de soulagement et je me rapprochai pour me mettre en place. J'avais entière confiance en Paco.
Je savais qu'il ferait tout pour me raccompagner dans de bonnes conditions. La radio retransmettait le périple des deux avions en mono-réacteur.
Bonaf avait réussi à éteindre le feu du moteur. Il accompagnait Mamel jusqu'à Jubail, un terrain américain.
-"Où ça en est Bonaf," demanda ce dernier.
-"Ça brûle toujours," répondit l'autre.
-"Tu devrais t'éjecter Mamel," proposa Bruno un peu inquiet.
-"Non non, ça tient je vais me poser à Jubail."
Je ne quittais plus mon ami des yeux car maintenant c'était mon guide. La descente venait de commencer et nous rentrâmes dans la couche nuageuse. Je devais faire un énorme effort pour maintenir ma position en patrouille serrée.
Mais la couche n'étant pas épaisse nous en sortîmes rapidement.
Malgré tout, il faisait très sombre. J'étais gêné, je n'avais plus rien devant les yeux. A nouveau Jésus fit part de ses problèmes.
-"Je suis en longue finale, avec le manche en butée. J'ai du mal à tenir l'avion, je vais m'éjecter!"
Schnapy l'encouragea car il touchait au but.
-"Jésus, tu y es presque, essaie d'aller jusqu'au bout."
A notre tour nous nous approchions d'Al Ahsa. Il était grand temps, cela faisait bientôt quarante minutes que j'avais été touché.
-"Charly, tu vois la piste, elle est à gauche. Tu vas sortir les éléments et te poser."
Dans un premier temps, je descendis légèrement, mais dans cette pénombre et cette brume je ne voyais rien. Peu à peu, je distinguai une longue bande noire, c'était le taxiway qui venait juste d'être refait. Nous étions en vent arrière,
je sortis le train et les volets et effectuai un dernier virage. Paco, à côté de moi, me surveillait. J'étais très concentré malgré mon mal de tête.
Mon atterrissage fut parfait : MISSION ACCOMPLIE !
Je dégageai la piste et j'éclatai en sanglots. J'étais à bout de nerfs. J'avais la vie sauve. Cela tenait véritablement du miracle, pensai-je en regardant de nouveau la verrière.
J'imaginais déjà l'état de ma tête sous mon casque. Mes pleurs redoublèrent, je n'arrivais plus à me contrôler. Sur le parking, des pilotes et des mécaniciens étaient rassemblés, aucun signe de joie: savaient-ils déjà? Je roulai jusqu'au parking, mon mécanicien de piste m'attendait. Il mit les cales et je coupai les moteurs. J'étais effondré, la tête penchée en avant et je me sentais très fatigué. Je n'avais même plus la force de me lever.
La verrière s'ouvrit. L'ambulance arriva à vive allure. En quelques secondes le médecin fut là.
-"Ne bouge pas mon gars, on s'occupe de toi !"
Il me prit la tension et aussitôt hurla des ordres. Avant d'avoir le temps de dire “ouf” j'avais déjà une perfusion dans le bras. A plusieurs, ils m'aidèrent doucement à m'extraire de l'habitacle. Je découvris alors les visages de ceux qui m'entouraient. Ils étaient tous plus pâles les uns que les autres. Le colonel RTP présent m'encouragea amicalement.
-"Charly, tiens le coup, ça va aller."
Son tutoiement me surprit, mais me fit du bien. Mes pleurs se calmèrent. Allongé sur une civière, j'étais installé dans l'ambulance. Un “toubib” et un pilote, “3D”, m'accompagnaient.
Le médecin me posa un masque à oxygène et demanda à “3D” de le maintenir. Ils me réconfortaient comme ils le pouvaient. Mais par moments je ne pouvais pas m'empêcher de sangloter: c'était plus fort que moi.
Sans arrêt, les images de l'enfer du feu que nous avions traversé me revenaient à l'esprit.
Encore sous le choc du mur de feu subi lors du bombardement, le miraculé d'Al Jaber a été perfusé sur place puis transporté à l'hôpital d'Al Hufuf. Deux jours après, il sera rapatrié en métropole.
Le seul pilote français blessé dans le conflit s'en tirera avec une plaie de dix centimètres au cuir chevelu et une perte auditive de l'oreille droite. Par chance, la balle s'est glissée entre le casque et la tête du pilote.
Une réédition de "Jaguar sur Al Jaber" a eu lieu, mais elle est aussi épuisée. Si vous en trouvez d'occasion, "Charly" est tout disposé à vous le dédicacer. Merci mon colonel.
Le casque de "Charly" transpercé par une balle de Kalachnikov.