René Fonck, l'As des As !
En patrouille avec Fonck.
Jean Laffray raconte en substance : « En somme, vous, m'a-t-on dit, les camarades de Fonck, vous serviez d'appât... vous attiriez l'adversaire et il n'avait plus qu'à les descendre!...» Ce serait réduire à une chasse au canard la technique qu'effectivement nous employions sur "les lignes" en compagnie de notre As. Ça donnait dès le départ, un sentiment de sécurité car nous étions certains du spectacle final : la chute d'un adversaire en flammes ou désemparé. Notre Spad devenait un fauteuil d'orchestre ! Avec Fonck, comme chef de patrouille, la surprise n'était pas à craindre. Il dénichait toujours l'oiseau aux croix noires le premier et nous le signalait aussitôt.
Nos patrouilles se faisaient généralement en formation triangulaire par groupes de trois ou quatre. Notre rôle : préserver Fonck des attaques venant de l'arrière. À lui la responsabilité du reste du ciel. Cela donnait au groupe une grande valeur manœuvrière.
Fonck balance ses ailes de façon convenue pour annoncer la présence dans le secteur d'un ou plusieurs avions ennemis. Après quelques instants de recherches, je distingue enfin à l'autre bout du secteur un régleur d'artillerie occupé à corriger un tir, qui fait régulièrement l'aller-retour de sa batterie à notre front. Il faut intervenir sans l'effaroucher afin de l'approcher à bonne portée.
Fonck prend aussitôt de la hauteur et nous entraîne à sa suite dans les lignes ennemies mais à l'opposé de sa future victime. Déjà, je le sens, s'ils ne s'échappent, le pilote et l'observateur du "LVG" n'ont plus beaucoup de temps à vivre. Dès qu'ils apparaîtront dans le collimateur de Fonck, ça en sera fini pour eux !
À une vingtaine de kilomètres à l'intérieur, nous décrivons une vaste courbe pour revenir sur la proie offerte. Nous sommes maintenant dans le soleil, protégés dans ses rayons des yeux ennemis. Soudain, Fonk pique vers le sol, descente rectiligne, fulgurante, au milieu des fusants de la D.C.A. et du mitraillage des postes ennemis. Soyons vigilants. Notre rôle maintenant est de protéger notre chef de file contre toute attaque brusquée pouvant venir de la chasse adverse, alertée. Des fusants, par tirs nourris, nous entourent. J'entends le bruit sourd des éclatements proches, j'en ressens les remous dans les poches de fumée noires qui inscrivent leur guirlande de plus en plus près de moi. Déjà Fonck est arrivé sur le "LVG". En quelques secondes, l'affaire est réglée. L'avion s'écrase avec son équipage à la limite de nos lignes.
Mais tout n'est pas fini. Les Fokkers arrivent. Ils sont cinq nous ne sommes plus que trois. C'est Brugère qui essuie le premier contact. Vient le tour de Piétri, le mien ensuite. Personne n'est oublié. Mais nous étions sur nos gardes.
Commence alors la grande farandole. Glissades, retournements, spirales se succèdent au milieu du crépitement des mitrailleuses. cocardes tricolores et croix s'entremêlent dans un invraisemblable et fiévreux ballet. En pareil cas l'habileté du pilote le sauve. Si on avait le temps, on penserait aux utiles leçons d'acrobatie de l'école de Pau.
Soudain, une nouvelle Cigogne se mêle au combat. C'est Fonck, revenu nous prêter main forte : tout se dégage. Un Fokker en flammes passe devant moi. Étoile filante ! Dans le même temps, avec l'intervention conjuguée de notre équipe, deux autres croix noires piquent vers leurs lignes : longue fumée noire en guise de traîne. Les deux derniers se volatilisent... Le ciel est à nous. Dans dix minutes, nous fêterons ça au bar de l'escadrille.
Deux records de Fonck restés imbattus.
Fonck parlait peu de battre le record du nombre d'avions abattus dans un même après-midi. « Il m'en faudrait au moins cinq », disait-il. Défi présomptueux ?
La tension nerveuse que l'on dépense dans un seul combat aérien suffit souvent pour harasser le pilote le mieux trempé. Mais Fonck n'était pas un pilote comme les autres. En l'air, il pouvait tout se permettre !
« Ce jour-là, le 9 mai 19I8, à 15, heures, il fait un temps splendide. Fonck décolle. Il emmène à sa suite les capitaine Batlle et Fontaine. Je fais partie avec Brugère, Drouilh et Loup d'une seconde patrouille commandée pour la protection. Je me réjouis intérieurement car nous allons certainement assister à du grand spectacle.
Clarté instantanée d'une situation, prise simultanée de la décision, justesse des tirs, alliées à une technique de pilotage exceptionnelle. Glissades, retournements et autres virages, aboutissent à la vitesse de l'éclair au placement idéal nécessaire au déclenchement d'un tir mortel. Tout ceci rassemblé en une seule personne, seul Fonck les possède ! »
Résumé du premier record. Ce jour là un avion de reconnaissance allemand protégé par deux biplaces de combat se présentent : les trois seront descendus après 45 secondes de combats !
On refait le plein d'essence et vers 17 heures 30, Fonck redécolle avec Brugère et Thouzelier suivis de Schmitter, Baron, Debaud, Piétri et Laffray.
À 18 heures 20, Fonk signale un avion qu'il surprend au sortir d'un nuage… et de quatre !
Alors qu'il a perdu de vue ses compagnons de combats, quatre Fokkers apparaissent avec cinq Albatros au dessus d'eux : situation plus que dangereuse !
Les Fokkers filent en triangle. D'une altitude très élevée il fonce sur eux, atteint et tire le dernier avec succès. Ce sera ensuite le tour du chef de patrouille. Et de six !
Les Albatros le poursuivent, mais voyant arriver le reste de la patrouille, filent plein gaz sans demander leur reste.
Le vainqueur rayonnant s'était fixé cinq victoires en un après-midi, il en avait obtenu six ! À 20 heures, le même soir, le septième succès était homologué. Il fut arrosé !
Fonck réussit le même exploit dans la journée du 26 septembre 1918. Au cours d'une première sortie, il descend deux avions, vers Somme-Py et un autre vers Perthes-les-Hurlus. Dans la soirée, ayant, repris l'air avec ses coéquipiers habituels, il remporte trois autres victoires. Il put inscrire ce soir-là à son tableau sa soixante-sixième victoire officielle, puis en ayant battu encore un de plus, son second sextuplé en une seule journée.
Un jour, Fonck patrouillait seul ainsi qu'il aimait parfois le faire. Intrigué par le comportement de trois points noirs, surmontés par cinq autres, Fonck s'approche et distingue un essaim d'Albatros. L'un d'eux, qui semblait le plus gros, était d'un modèle inconnu, probablement un avion de chasse d'un type nouveau que les Allemands expérimentaient sous bonne escorte.
Fonck descend et attaque aussitôt. Profitant de la rapidité et de la surprise provoquée, passe aile à aile entre les deux coéquipiers qui, effarés à la vue de la cigogne peinte sur le fuselage, virent pour pouvoir le prendre par l'arrière : c'était prévu ! La seconde qui suit le rapproche du but et la première rafale est la bonne !. Continuant son piqué, il échappa aux Albatros.
Autre record, trois victoires en 10 secondes !
Le 14 août 1918, Fonck est au commandement lorsque trois Fokkers débouchent d'un nuage. Ils sont placés en "escalier", c'est-à-dire l'un derrière l'autre sur une même ligne et chacun à 50 mètres d'intervalle.
Belle aubaine pour réussir un triplé quand on s'appelle Fonck. Il les voit avant nous. Faisant le signe convenu, il se rue contre les Fokkers. Manœuvre stupéfiante d'audace, il passa en flèche au-dessus du dernier de la file, fait aussitôt un retournement pour revenir sur lui en position idéale pour décocher "la" rafale mortelle, instantanément suivie d'une savante glissade, pour atteindre le second, balles au but, il finit par un rétablissement qui sera fatal au troisième. L'affaire aura duré dix secondes !
On le voit, Fonck était donc un pilote hors pair mais aussi très réfléchi, doté d'une puissance d'analyse, aussi rapide qu'exhaustive, il n'attaquait qu'après avoir étudié la situation aérienne autour de lui et de surcroît fin manœuvrier, il savait se placer idéalement pour ses attaques. Il n'a jamais ramené au sol un seul avion touché par l'ennemi.
À ses qualités indéniables, il était aussi un tireur d'élite : devant ses camarades, tenant une carabine sur son épaule droite, de la main gauche il lançait une pièce en l'air qui retombait toujours trouée.
L'ingratitude.
Après la guerre, pour Fonck, Nungesser et d'autres, le problème de la reconversion dans le civil se posait. Leurs qualités exceptionnelles s'étaient épanouies dans un climat exceptionnel. Montés très haut, on les abandonna. On ne sut, ou voulut les garder dans le giron de l'Armée. Les As de la chasse, pour la plupart, étaient "appelés sous les drapeaux". Tant qu'ils s'affirmaient supérieurs et efficaces dans l'action, au moment du danger, on les encensa. La paix venue, les épines remplacèrent les lauriers.
Revanche des moins doués, moins courageux, qui s'étaient vus éclipsés et avaient longtemps rongé leur frein. À quoi bon sortir de Saint-Cyr ? La guerre finie, la caste militaire les rejeta. Civils ils étaient venus, civils ils devaient retourner.
Revanche sur la boutade de Clémenceau : « la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux militaires ». À ces derniers, on confia l'aviation du temps de paix.
Le héros doit mourir jeune pour conserver son auréole. Guynemer, vivant, serait-il demeuré l'Archange ? Fonck termina la guerre capitaine alors qu'il aurait dû être promu général. « Nous sommes un peu gâtés, nous l'avons été par les baisers de la gloire ! disait-il »
Aux félicitations officielles, il préférait l'estime des poilus spontanément manifestée. Un jour où conversant avec les mécanos qui s'affairaient, passèrent sur la route bordant la piste, ceux qui restaient du bataillon du 26ème chasseur redescendant des lignes. Harassés, couverts de boue, ils se traînaient vers un cantonnement de repos après plusieurs jours de combat. Quand ils reconnurent les avions à la Cigogne, ils s'arrêtèrent, reformèrent les rangs et défilèrent devant nous impeccablement, nous fixant de tous leurs regards. Les larmes en vinrent aux yeux de Fonck »
Le 18 juin 1953, René Fonck est mort. Chez lui, à Paris. Son cœur, qu'il avait tant de fois fait battre si fort dans ses héroïques équipées, l'a abandonné à 58 ans.
On lui fit des funérailles dans la cour d'honneur des Invalides. Mais, aussitôt, l'As des As fut officiellement oublié dans la mort comme il l'avait été dans les années d'après guerre. Aujourd'hui ses compagnons de lutte réclament pour lui le monument qui honorerait en même temps tous les chasseurs des deux Grandes Guerres.
Fonck repose dans le petit cimetière de son village natal, Saulcy-sur-Meurthe. Le jour de ses funérailles un fait étrange frappa la population venue en grand nombre : Deux cigognes – on n'en voit presque jamais de ce côté des Vosges, – vinrent survoler lentement le village.
Article recueilli par André Boisnaud.