Notre édition N°125 de juillet 2024 consacrait un article à la bataille de Diên-Biên-Phû. 70 années se sont écoulées. Le corps expéditionnaire français, sacrifié pour tenter d'endiguer le tsunami communiste déferlant de Chine, armé par l'URSS, et soutenu en France par des universités, certains syndicats et médias brandissant le petit "Livre Rouge" de Mao, se vit longtemps abandonné au plus profond des oubliettes de notre Histoire. Il ressurgit aujourd'hui, en justifie, enfin, les raisons et rend gloire à nos héros, acteurs de cette terrible guerre qui commença dès 1945, alors que la 2ème guerre mondiale n'était pas encore terminée et que la France dut, avec l'aide des Alliés, y bouter les japonais qui avaient envahi l'Indochine pendant le conflit, massacrant les habitants avec la sauvagerie que l'on sait .
L'Indochine Française, plus vaste que la France métropolitaine (740 000 km2 pour 540 000 km2), mais aussi la plus riche de nos colonies, attirait sous d'autres drapeaux, la prise du pouvoir revendiquée par des élites autochtones (formées dans nos universités), mais également enviée par d'autres pays : l'exploitation de ses ressources économiques, notamment du latex, résine de caoutchouc tiré de l'hévéa dont Michelin notamment avait grandement investi dans d'immenses plantations, revêtait à l'époque une importance stratégique majeure.
Après son "Serment de Koufra" et son incroyable épopée avec la 2ème DB, le général Leclerc fut nommé à la tête du commandement du Corps Expéditionnaire Français pour l'Extrême Orient (CEFEO). Il ajoutera ici à ses qualités militaires exceptionnelles, des compétences politiques et diplomatiques dignes d'un grand homme d'État.
Nos plus vifs remerciements à la Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque qui nous a ouvert ses dossiers ainsi qu'au général (2S) Jean-Paul Michel, pour l'aide qu'il nous a apportée. Vous trouverez ci-après, les articles suivants : Pacificateur, son œuvre en Indochine - Sa canne légendaire - Sa mort dans un accident aérien - Leclerc n'est plus : leçon. (GB)
Photo symbole : "Leclerc" en opérations dans sa Jeep, tenant sa canne comme un sceptre, en indiquant la direction : « La victoire, c'est par là ! »
Pacificateur : son œuvre en Indochine
Informations extraites d'un très long article du commandant Langlois, chef de cabinet du général Leclerc en 1947 et ancien aide de camp du Général en Indochine.
Au lendemain du 8 mai 1945 le général Leclerc demande à prendre le commandement du Corps Expéditionnaire d'Indochine, dernière terre française à libérer, il insiste et obtient satisfaction le 29 mai 1945.
À cette date, ce Corps n'est qu'à l'état de projet dont les bases ont été jetées par le général de Gaulle à Alger. Le général Leclerc sait que des difficultés innombrables vont s’opposer à ce projet. Qu'importe ! Cette œuvre, extraordinaire et considérable sera menée "de main de maître" par l'infatigable général qui ajoutera ici à ses qualités militaires exceptionnelles, des compétences politiques et diplomatiques dignes d'un grand homme d'État. Il sera sans nul doute, à la base du retour de nos couleurs en Extrême-Orient. Rien n'existait ou si peu, en terme d'hommes devant constituer les unités de combat et de matériels (armement, munitions, véhicules, avions, bateaux…).
En 48 heures, le général forme l’ossature de son État-major. Dès le 7 juin il déploie des contacts tous azimuts vers toutes les potentialités alliées, ce qui nécessitera de longs voyages en Dakota où chaque escale est mise à profit pour recueillir le renseignement, donner les ordres, diriger, infléchir, détacher les chargés de mission. Son chef d’État-major à Washington prend contact avec les Américains. Il dirige et accélère l'instruction des unités en formation et fait sa première inspection dans le Midi le 30 juin.
Il voit les ministres, les chefs d’État-majors, les commandants de Divisions, toutes les Administrations impliquées, arrache un régiment par-ci, du matériel par-là, il étudie, réfléchit...
Le 15 août, il fonce à Calcutta représenter la France à la signature de la reddition japonaise qu'il signera le 9 septembre.
Le 22 août à Ceylan, il voit l’amiral Lord Louis Mountbatten. pour obtenir le maximum de bateaux de transport de troupe. Démarches auprès des Anglais et Américains se succèdent.
Le 29 août Tokyo via Manille, Okinawa, on négocie… Entrevue avec MacArthur qui écrira à Washington pour nous appuyer.
Visite au "Richelieu". Le Général mène tout de front. Stimule et imprime partout sa marque. Les Alliés impressionnés l'invitent partout. Les Américains ont besoin de bateaux pour rapatrier leurs troupes, les Anglais et les Hollandais en veulent pour l’Indonésie : il faut arracher bateau par bateau. Que de démarches, de colères, de persuasion... Seul depuis Ceylan, il actionne Paris, Calcutta, l’Indochine… Dans le même temps, il fait parachuter des hommes au Laos.
Le 3 octobre, il se rend à Saïgon où la révolte couve. Il redonne courage. Escale à Calcutta pour aiguillonner l’arrière.
Le 4 octobre escale à Rangoon.
Le 5 octobre retour à Saïgon pour organiser le Corps Expéditionnaire qui sera complet dans 6 mois. Il y a 1200 kilomètres de Saïgon à Hanoï, 12 000 de Marseille à Saïgon ! Les difficultés ne sont donc pas terminées, les obstacles ne sont donc pas tous franchis, mais donnons ici la parole au commandant Langlois «...Arrêtons-nous et faisons le point. Parti de France le 18 août 1945, avec un simple ordre de mission, sans troupes, sans avoir jamais vu l’Extrême-Orient, sans aucun renseignement sérieux sur ce que peut être la situation générale en Indochine, le général Leclerc quittait Kandy le 3 octobre, à peine 6 semaines après, ayant imposé la présence de la France aux Alliés, acquis les connaissances nécessaires, formé son jugement, posé le problème, étudié les diverses solutions. Par son action indirecte en France, il avait donné une forme, un esprit aux unités disparates du Corps Expéditionnaire. Par son action directe sur place, il avait obtenu un plan précis de transport de ces unités de France en Extrême-Orient. Il en avait organisé l’équipement. Il avait réalisé l’armement des détachements présents. Laissant à Ceylan son sous-chef d’État major, comme il avait laissé en France son chef d’État-major, pour assurer ses arrières et ses lignes de communications, il partait de l’avant, ayant résolu, en un minimum de temps, des quantités de problèmes à peine entrevus trois mois auparavant : la machine était lancée. Cette première victoire de la France, de combien de victoires quotidiennes était-elle faite ? Et c’est bien, en effet, une victoire de la France, car il est certain que seulement deux mois plus tôt personne en Extrême-Orient Français, mis à part, ne croyait à son retour possible. Dans le très beau discours qu’il prononça lors des obsèques nationales du général Leclerc M. Teitgen, ministre des Forces armées, parlant de la mise sur pied de la 2ème D.B., disait : « C’est ainsi qu’il a déployé tous ses dons, tout son cœur, à préparer un merveilleux outil de précision… Cette victoire faite de ténacité, de méthode, d’action sur les hommes, ne porte aucun nom de lieu ; mais, c’est peut-être par excellence la victoire de Leclerc ». Je crois que ces paroles si justes s’appliquent exactement et de la même façon aux combats qu’a menés le général Leclerc jusqu’à son arrivée en Indochine... Si la France est rentrée en Indochine, c’est d’abord et avant tout au général Leclerc qu’elle le doit ».
Relations avec Ho Chi Minh
Rappels : À l'issue de la deuxième guerre mondiale, la conférence interalliés de Potsdam décide, lors de la reddition des troupes nippones encore en Indochine, de charger les Chinois au nord du 16ème parallèle et les Britanniques au sud, de procéder au désarmement des Japonais.
Le général de Gaulle ayant obtenu que les troupes françaises reprennent pied en Indochine, nomme le général de Corps d'Armée Leclerc commandant du Corps Expéditionnaire Français pour l'Extrême Orient (CEFEO) et l'amiral Thierry d'Argenlieu haut commissaire de France.
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Débarqués en octobre 1945 à Saïgon, les premiers éléments du CEFEO vont effectuer les opérations indispensables pour rétablir l'ordre compromis par les bandes du parti Vietminh déjà armées et équipées du temps des Japonais.
Dans toutes les occasions, le général Leclerc ne manque pas en s'adressant aux Indochinois d'affirmer la volonté de la France d'inclure leur pays dans l'Union Française.
À Hanoï, Ho Chi Minh a pris la tête du gouvernement provisoire de la République du Vietnam et à ce titre, a reçu des délégués de la France, en particulier M. Sainteny et les négociations sont activement menées.
En mars 1946 des accords sont signés reconnaissant la présence de troupes françaises sur le territoire et le général Leclerc arrive à Haïphong puis à Hanoï.
Un statu quo s'installe et le général aura même, à sa demande, une garde assurée par les troupes du Viet-Minh pour prouver sa confiance.
Tous les pourparlers avec les autorités Viet-minh, pour aboutir à une conférence, sont menés par les officiers de l'Etat-major du général Leclerc, en liaison avec M. Sainteny.
Ils aboutissent à la conférence de Dalat en mai 1946 qui prépare une rencontre au sommet en France.
Le général Leclerc quitte son commandement en juillet 1946, au moment, où à Fontainebleau, on avait réussi à commencer les travaux qui aboutirent à la signature, le 14 septembre 1946, d'un modus vivendi.
Toute la politique du général Leclerc avait été guidée au cours de ces longs mois par sa volonté de jouer "franc jeu" avec les Vietnamiens.
« Ho Chi Minh avait été convaincu par la proposition de Leclerc de construire une sorte d’indépendance dans le cadre de l’Union Française. Malheureusement c’est le gouvernement français qui a refusé cette solution sous les conseils de l’amiral d'Argenlieu. C’est pourquoi Leclerc a quitté l’Indochine. Ho Chi Minh disait : « Parole de Leclerc me suffit ! ». Ils se sont revus en France et s’appréciaient. C’est pour cela que beaucoup disent que si Leclerc avait survécu, la guerre d’Indochine ne se serait pas déroulée ».
Général (2S) Jean-Paul Michel.
L'accident aérien où disparut le général Leclerc.
Le général (2S) Hugues Silvestre de Sacy, a mené une enquête minutieuse sur cette catastrophe aérienne. Nous nous attacherons ici à sa conclusion :
«… Tous les éléments rassemblés, conduisent à des conclusions sans doute plus nuancées encore que celles de l’armée de l’air, vis-à-vis de la responsabilité du pilote, même si, indéniablement, il est comptable de la conduite du vol. Il n’apparaît pas possible d’aller plus loin dans le jugement. Il est préférable de parler d’éléments d’explication dont les conclusions pourraient être les suivantes : L’influence de la personnalité du général qu’aurait subi l’équipage avant le décollage, existe. Il reste à en mesurer les conséquences exactes. Ceci dit, la décision de décoller est prise par Deluc, avant d’avoir vu le général, à un moment où la situation météorologique à Colomb-Béchar ne rend pas l’atterrissage absolument impossible, mais avec un doute sur celle qui sera rencontrée au moment de l’arrivée, en raison d’une aggravation annoncée. L’autonomie de l’avion explique une telle décision qui évite, en outre, une confrontation avec le général. L’éclaircie en cours de route et les doutes sur l’imprécision du goniomètre font prendre au commandant de bord la décision de poursuivre son vol à basse altitude. Funeste éclaircie qui pousse l’équipage à une mauvaise appréciation de la situation future dans laquelle il s’engage et qui se révélera un piège dont il ne saura se sortir. Le dernier ordre à cabrer donné par le pilote, cause de la perte de vitesse, est-il destiné à simplement éviter un obstacle ou est-il l’amorce d’une remontée en altitude avant de renoncer à poursuivre jusqu’à sa destination ? Nul ne le saura jamais. Des faits ont été exposés, des conclusions partielles tirées, des hypothèses, vraisemblables, émises. Certaines sont peut-être critiquables, et tout n’a pas été prouvé. Chacun, dès lors, pourra tenter d’en tirer ses propres conclusions ».